Que faire pour nos soignants dans un système de santé en crise ?

Beaucoup de nos personnels de santé sont mal et potentiellement en burnout. Quelles stratégies peuvent être mises en place par les cadres des établissements de santé pour les aider à rebondir et retrouver un sens sans oublier le patient et son expérience ?

C’est ce que je vous propose d’explorer à travers cet article en me basant sur mon expérience de 24 ans en tant qu’administrateur dans un hôpital et centre de recherche new yorkais.

Un système malade et un personnel qui souffre

Il ne se passe pas une semaine sans qu’il y ait au moins un reportage qui nous rappelle que notre système de santé est malade et que la qualité de vie au travail de nos personnels de santé est sérieusement dégradée. Sans vouloir « enfoncer un clou dans une planche à travers laquelle il est déjà passé », voici quelques informations qui m’ont particulièrement interpellé ces dernières semaines :

Un personnel qui part

En 2020, il manquait déjà quelques 7.000 infirmières dans les hôpitaux français. En 2022, c’était 60.000. Selon une enquête de RTL, ce chiffre inquiétant n’est pas dû à un manque de diplomé.es puisqu’il y en a 180.000 qui n’exercent plus, soit un quart du nombre total d'infirmières en France. Pour ceux et celles qui restent, la charge de travail est lourde et c’est un euphémisme.

Un personnel essoufflé et une expérience patient dégradée

Docteur en burnoutAu début du mois de janvier, le service des urgences de l’hôpital de Fréjus se retrouvait avec 55 de sa soixantaine d’agents (aides-soignants, infirmières, et médecins) en arrêt maladie. Le résultat d’une surchauffe chronique rapportée par France Info avec un service qui a pris en charge 54.000 patients en 2022 pour une capacité estimée à 35.000.

Dans la même lignée, 25 des 30 médecins urgentistes du CHU de Lille ont pris la parole pour décrier une qualité de vie au travail de plus en plus dégradée pour les soignants et une expérience patient proche de la maltraitance. D’après le reportage de France Info, les attentes sur un brancard dans les couloirs des urgences se sont de plus en plus rallongées et peuvent maintenant durer plus de 24 heures faute de lits disponibles à l’hôpital.

Avant même la crise COVID et post-COVID, plusieurs études avaient été menées qui estimaient déjà un taux de burnout pour les médecins tournant autour de 50% en France. Nous pouvons facilement imaginer que les cas d’épuisement professionnel ou burnout au sein de notre système de santé touchent aujourd’hui un bon nombre de nos personnels de santé même si beaucoup continuent de travailler sans s’admettre à eux même ou aux autres qu’ils vont mal.

Les souffrances du personnel et l’expérience patient vont-elles s’améliorer ?

J’espère que certaines des mesures prises par le gouvernement et par les établissements de santé pour accroître les moyens disponibles et les effectifs des équipes amélioreront de façon significative les conditions et la qualité de vie au travail de nos soignants et de leurs collègues, mais ces mesures seront-elles suffisantes ? Clairement, non.

Certaines des mesures prendront des années avant que leurs effets ne soient visibles et l’impact émotionnel et psychologique du délabrement actuel de notre système de santé risque de se faire ressentir pour longtemps. Bien que l’allocation de ressources adéquates aux équipes soit très importante, elle n’est pas suffisante. La perte de sens et le sentiment de n’être écouté que lorsqu’une crise est profonde et explosive ne s’effaceront pas sans un engagement inébranlable des cadres des établissements de santé pour redonner la confiance à leurs équipes. 

De quelle confiance s’agit-il ? C’est une confiance à plusieurs facettes qui doit exister à travers toute l’organisation : la confiance que les cadres sont là pour soutenir le personnel et pour leur donner les moyens de fournir le service de qualité promis, la confiance qu’ils peuvent compter sur leurs collègues venant des autres disciplines, la confiance en leurs co-équipiers d’être compétents et engagés, et enfin la confiance en eux-mêmes et leur capacité à faire face aux multiples défis qu’un environnement de soin présente.

Sans un retour de cette confiance et la mise en place d’une stratégie à cet effet, les symptômes qui affligent aujourd’hui beaucoup de nos organismes de santé perdureront : difficulté à recruter un personnel compétent et engagé, problèmes récurrents pour retenir un personnel formé et qualifié, une qualité des soins détériorée, et une expérience patient ou usager dégradée.

Une expérience de remise en confiance avec des résultats

Cette situation de crise en France me rappelle deux expériences que j’ai vécu à New York dans ma vie d’administrateur pendant 24 ans dans un grand hôpital et centre de recherche.

L’expérience la plus probante a été celle de prendre la responsabilité du département des agents de service hospitalier. Le département était fort de 350 personnes mais souffrait d’une perte de confiance généralisée et d’un désengagement rampant chez les agents et leurs cadres. L’expérience patient était médiocre comme le démontrait le résultat des enquêtes mesurant la satisfaction des patients plaçant régulièrement nos services dans les derniers 40% du secteur hospitalier.

Avec le soutien de l’administrateur de l’hôpital, des ressources humaines, et de certains membres de l’équipe managériale, nous avons pu mettre en place une stratégie à plusieurs volets qui a : ⇒ transformé la culture du département en une culture profondément humaine, ⇒ amélioré les relations entre les agents de service et leurs collègues des autres départements, et ⇒redonné la confiance du personnel en eux-mêmes et en leurs co-équipiers.

Le résultat : des équipes performantes et des individus engagés et épanouis avec à la clé des scores de satisfaction des patients classant régulièrement les services des agents parmi les 10% les plus performants du secteur hospitalier.

Une stratégie qui s’articule autour des fondamentaux tout en étant innovante

Les fondamentaux pour restaurer la confiance et permettre l'épanouissement

Nous nous sommes fixé comme objectif d’instaurer un environnement de confiance et d’épanouissement dans lequel chacun s’engage à produire une expérience patient qui soit la meilleure possible. Grâce à de nombreuses interviews individuelles et collectives, nous avons pu identifier 5 principes fondamentaux sur lesquels faire reposer notre stratégie

   La communication authentique
A travers ces entretiens, il est devenu claire qu’instaurer une communication ouverte et transparente était essentielle pour établir la confiance entre la direction et les employés et réduire les rumeurs qui circulaient ou l’attribution non fondée de mauvaises intentions de part et d’autre. Il était particulièrement important que nous équipions nos collaborateurs et cadres avec des outils de communication qui leur permettraient d’avoir des échanges authentiques et productifs.

Environnement de confiance et d'épanouissement

Les fondamentaux

   La justice et l’équité
Dans le même esprit de transparence, il était nécessaire que les processus de décision et leurs résultats ayant un impact sur le personnel soient explicites. Les politiques et les procédures devaient être examinées, développées, et appliquées en nous assurant qu’elles étaient justes et équitables afin de retirer du système les poisons que sont le favoritisme et la discrimination.

   Le développement professionnel :
Pour démontrer notre confiance en notre personnel et pour leur donner l’espoir de s’épanouir et de pouvoir progresser s’ils le souhaitaient, il était important que nous mettions en place des opportunités d’acquérir de nouvelles compétences et également de leur fournir des occasions d’accéder à de nouvelles responsabilités.

  L’autonomisation :
Afin de permettre une plus grande satisfaction au travail et une amélioration des performances du personnel, il était important de leur donner les moyens de s’approprier leur travail et de prendre des décisions qui avaient un impact direct sur leur rôle et sur l’expérience patient. Ce gain d’autonomie allait renforcer le message de confiance en leur capacité et créer un sentiment de responsabilisation et de contrôle.

  La reconnaissance et les récompenses :
Il s’agissait enfin de reconnaître et de récompenser les employés pour leurs contributions et leurs réalisations pour leur montrer qu’ils sont vraiment appréciés et valorisés, et que leur travail a un véritable impact sur l’équipe, l’organisation, et l’expérience patient.

Une stratégie pour la confiance, l'épanouissement et l'expérience patient

Pour instaurer un socle de confiance nécessaire au développement et au déploiement de notre stratégie, nous avons, en premier lieu, répondu aux besoins urgents des employés en explicitant ce qui pouvait être fait dans l’immédiat et ce qui allait prendre du temps à mettre en place.  C’est par cette démonstration d’écoute et de détermination à répondre à leurs besoins que nous avons pu par ensuite les engager dans un changement systémique qui allait profondément améliorer leur qualité de vie et leurs conditions de travail.    

Nous avons pris soin d’inclure le personnel et les cadres dans l’élaboration et la mise en place de la stratégie pour nous assurer de sa qualité ainsi que pour renforcer la confiance, et augmenter l’engagement et la responsabilisation de tous. 

Convertir les fondamentaux en actions

Cette stratégie s’est articulée en 7 éléments formant un tout cohérant et correspondant au contexte du département et de l’organisation :

Mission et Vision
Bien que la mission et la vision de l’organisation aient été clairement définies, il n’y avait pas de mission ni de vision connue ou inspirante au niveau du département. Une mission départementale est souvent présente (enfouie dans un classeur ou en ligne) et se limite à décrire le rôle du département. Par contre, un énoncé de mission et une vision développés conjointement avec les équipes de terrain permettent de fédérer et de concentrer les efforts de tous sur ce qui est important. C’est l’élaboration d’une mission inspirante et d’une vision ambitieuse autour de l’expérience patient qui a permis aux équipes de redonner un sens à leur travail et de renouveler leurs motivations et implications.

Les KPIs
L’élaboration de notre mission et vision et l’ébauche de nos plans d’action, nous ont permis d’identifier les domaines les plus importants sur lesquels nous devions progresser collectivement pour améliorer l’expérience patient et créer un environnement épanouissant pour le personnel. C’est dans ces domaines que nous avons identifié nos KPIs (indicateurs de performance clés), outils essentiels pour mesurer la performance de l’équipe. Nos KPIs précurseurs et tardifs nous ont permis de suivre collectivement nos progrès et d’identifier où nous devions concentrer nos efforts.

Les formations internes et externes
Après une analyse des lacunes en compétence les plus fréquentes mais également des compétences nécessaires pour atteindre la vision du département, des formations techniques ont été développées en sollicitant des experts internes au sein du personnel. Leur participation volontaire pour développer ou faciliter ces formations ont été pour plusieurs une opportunité d’épanouissement par le partage avec leurs pairs de leurs expertises. Les formations externes, quant à elles, ont permis aux employés de se tenir au courant des dernières tendances et pratiques de l’industrie et de les rapporter à tous. Les employés ont pu ainsi appliquer de nouvelles techniques et pratiques dans leur travail.

Une échelle de carrière
Grâce à une collaboration avec les ressources humaines et l’administrateur de l’hôpital, nous avons pu mettre en place une échelle de carrière qui a permis de reconnaitre les personnels contribuant de façon significative à faire progresser le département vers sa vision. Les critères pris en compte ont été leurs performances personnelles, leur participation à des projets d’amélioration et les formations auxquelles ils ont participé. Ils avaient été auparavant clairement définis et  communiqués afin d’offrir, de façon transparente et équitable, des opportunités de progression aux employés qui désiraient prendre de plus grandes responsabilités.  

Les échanges informels
Afin de favoriser une
communication authentique et pour comprendre les défis auxquels le personnel faisait face, les cadres du département, en commençant par moi-même, étaient tenus de rencontrer régulièrement le personnel de manière informelle dans leur environnement de travail. Il s’agissait d’établir un lien avec les employés, de vérifier comment ils allaient et de les aider si nécessaire en fonction des problèmes qu’ils rencontraient.

Sessions d’échanges périodiques
Des sessions d’échanges avec tout le personnel étaient tenus tous les mois pour assurer une communication bidirectionnelle  sur les informations importantes comme les événements organisationnels  ou départementaux, les opportunités professionnelles, les changements au sein de l’organisation ou du département,  les progrès ou retards sur la mise en place de notre stratégie avec une revue systématique des KPIs.  Ces sessions venaient en complément de la communication descendante faite par mail, sur l’intranet ou sur les murs de communication pour permettre au personnel de partager leurs réactions, de poser des questions, et de faire des suggestions. Ces sessions étaient également l’occasion de reconnaitre et de célébrer les succès individuels et d’équipe. 

Les ateliers « We Care » et leurs suivis
Bien qu’ils figurent en dernière position de cette liste des mesures prises pour améliorer la confiance entre tous les employés, leur qualité de vie au travail, et l’expérience patient, la puissance de ces ateliers a été déterminante pour façonner la culture et créer un changement profond. Ces ateliers basés sur l’Elément Humain® et axés sur l’expérience patient ont permis de réduire de façon significative les frictions internes au département et les rigidités comportementales des individus. Au lieu de prescrire une liste de comportements comme le font la plupart des programmes de formation, ces ateliers ont permis à chaque membre de l’équipe de développer sa propre façon d’exceller que se soit dans la manière de collaborer avec ses  pairs ou dans le service aux patients.  Les résultats ont été éloquents en plaçant le département dans la classe des leaders du secteur hospitalier.

 

Créer un environnement attractif et épanouissant pour nos soignants

La création d’un environnement attractif et épanouissant pour notre personnel de santé n’est pas seulement un objectif souhaitable, mais une nécessité si nous voulons garantir la qualité des soins et la pérennité de nos acquis en matière de service.

Améliorer la qualité de vie au travail et des conditions de travail du monde clinique demande le développement et la mise en place d’une démarche exhaustive, cohérente et continue dans le temps

Conjuguer une démarche QVCT avec un engagement d’amélioration de l’expérience patient offre un avantage unique pour résoudre plusieurs des difficultés rencontrées par nos soignants et créer un environnement dans lequel ils désirent travailler et rester.

Si vous voulez connaître nos méthodes d’intervention ou discuter de la mise en place de stratégies efficaces pour améliorer la qualité de vie au travail  et optimiser l’expérience patient, n’hésitez pas à nous contacter par mail à contact@optimumsynergies.com ou à nous envoyer un message ici.